Xavier Dupont de Ligonnès toujours vivant ? La thèse du suicide serait privilégiée

Souvent, dans un dîner, au garagiste, on demande ses tuyaux pour faire réparer sa voiture pas cher, au dermatologue, son avis sur un grain de beauté un peu trop dodu. À ceux qui ont approché le dossier De Ligonnès, la question posée, huit ans après, était inlassablement : « Alors, il est vivant ou il s’est suicidé ? » Sujet sur lequel tout le monde avait un avis.

Même à Lyon, sur le tournage d’une série, en avril 2019, celui qui interprète le rôle inspiré de Xavier Dupont de Ligonnès a posé la question. « Et vous, vous en pensez quoi ? , demande Arnaud Ducret. Il est mort ou vivant ? »

Les mieux renseignés sur l’affaire ont livré deux réponses cliniques. Xavier Ronsin, disait en 2011, quand il était encore procureur à Nantes : « Le suicide de Xavier Dupont de Ligonnès est l’hypothèse la plus probable. » Il prenait néanmoins le soin, aussitôt, d’ajouter : « L’autre hypothèse, celle d’une fuite particulièrement bien organisée, est, elle aussi, toujours étudiée. »

Un autre professionnel bien informé, Jean-René Personnic, qui vient de quitter la tête de la police judiciaire nantaise, modulait un peu, en 2016. « Les collègues ont des avis partagés. Chaque année, on voit des pères qui tuent leur famille, mais après, ils se rendent ou se suicident. Là, il a pris la fuite… Néanmoins, il peut avoir été gagné par les remords et avoir mis fin à ses jours. Nous travaillons sur des faits, pas sur des impressions. Sans preuve de mort, la seule méthode qui vaille est de le considérer vivant. »

Un chant de supporteurs
Mais évidemment, un tel scénario (la préparation, la tuerie, la cavale) sans point final laissait courir l’imagination et la plume de tous ceux qui, et ils sont immensément nombreux, sont « fascinés » par l’affaire. Huit ans après, c’est comme si le nom Ligonnès était devenu un nom commun, synonyme de volatilisation et d’horreur, mais désincarné par le temps.

Les réseaux sociaux regorgent de traits d’humour noir. On a même entendu un chant au nom de Ligonnès circuler chez des supporteurs de foot de Nantes… Romanciers et scénaristes se sont attellés à inventer leur épilogue que l’enquête de police ne livre pas.

La journaliste Anne-Sophie Martin a consacré un ouvrage solidement charpenté à l’affaire ( Le disparu ). « Je pense qu’il ne s’est pas suicidé, nous disait-elle lors de la sortie de son ouvrage, car son passage à l’acte est tout sauf celui d’un suicidaire. Il s’applique à effacer les traces, à mettre en scène sa disparition… Un peu comme l’Américain John List, qui a tué toute sa famille et refait sa vie ailleurs. »

Mais dans ce dossier, chaque argument pouvait se renverser. D’autres, comme Guy Hugnet ( La secte et l’assassin ), étaient convaincus d’un suicide. Sur M6 , « Dans la tête du suspect », un premier docufiction diffusé en décembre, proposait aussi un épilogue suicidaire à l’histoire : Xavier Dupont de Ligonnès mettait fin à ses jours, d’un coup de feu, allongé au fond d’un caveau. Introuvable à jamais, comme pour nourrir le mystère orchestré par ses soins.

Témoins

Depuis huit ans l’affaire a hanté les esprits. Et pas que des scénaristes. Des passants ont alerté la police, de bonne foi, sûrs et certains d’avoir croisé le fugitif au physique passe-partout.

En février 2013, un hôtelier de Dieppe, floué par un client parti à la cloche de bois, après deux nuits passées, avait donné l’alerte. En vain.

On se souvient aussi, en mai 2015, de ces ossements découverts dans une épaisse forêt du Var, le département où le fugitif a laissé sa dernière trace de vie. Raté, a certifié l’ADN.

En octobre 2016, des images de vidéosurveillance vraiment troublantes ont été adressées aux enquêteurs : un sosie venait régulièrement jouer au casino de Néris-les-Bains, dans l’Allier. Le client a été contrôlé à son retour aux machines à sous. Mauvaise pioche.

En creux, ces fausses pistes révèlent que le moindre signalement, et il y en a eu plus de mille, est immédiatement exploité, analysé, décrypté, vérifié par la police judiciaire. Un dossier hautement inflammable.

Il suffit de regarder l’onde de choc quand les policiers ont déboulé en nombre dans un monastère du Var, le 9 janvier 2018, au petit jour. Un moine, vu plusieurs fois par des fidèles de la messe dominicale, ressemblait vraiment beaucoup au père sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Le monastère, où l’on a fait vœu de silence, a été encerclé par la PJ, pour éviter tout risque de fuite. Un drone a même survolé l’opération. Nouvelle fausse piste…

Arguments

Alors, vivant ou mort ? Ceux qui étaient alors convaincus de son suicide ont argumenté. Les hommes désespérés qui assassinent leur famille finissent, pour l’essentiel, par mettre fin à leurs jours, l’histoire criminelle le démontre.

Et puis, Xavier Dupont de Ligonnès n’avait pas un sou devant lui, il a retiré ses trente derniers euros à Roquebrune-sur-Argens. Or, une cavale ça coûte de l’argent et on ne lui connaît aucun ami susceptible de l’aider. Il lui aurait donc fallu manger, se loger, se déplacer, sans être repéré par un témoin, en pleine médiatisation internationale…

Il aurait pu se suicider dans un lieu où personne ne retrouvera son squelette : le massif varois où il a disparu est grêlé de centaines de failles et cavités insondables.

Ceux qui ont longtemps espéré le voir jugé de son vivant ont avancé qu’on n’organise pas si méticuleusement un crime et sa disparition pour finir par mettre fin à ses jours. Il aurait pu avoir trouvé refuge dans une congrégation de l’autre côté des Alpes, après avoir été pris en stop, par exemple. Il a finalement eu l’incroyable chance d’échapper à tous les contrôles, de n’être jamais dénoncé et de ne jamais tomber malade.